La plupart de nos manuels de cantiques sont très pauvres pour la période du Carême. Voici donc quelques cantiques peu connus qui mettront en nos âmes les dispositions adaptées à ce temps liturgique

N.B. Les enregistrements sont accessibles en cliquant sur le nom du cantique.

Airs traditionnels

Parmi les airs traditionnels utilisés dans ce fascicule, il faut souligner le fameux “Air de Pontmain” du cantique “Mère de l’Espérance”, appliqué avec de légères variantes au texte du P. de la Tour : “Goûtez, âmes ferventes”. On observera que cette variante évite soigneusement de faire entendre le fa#, de sorte que ce cantique pourrait être accompagné “à l’ancienne”, sans sensible, mais avec une cadence plagale, ou même un fa bécarre. Cette mélodie, entraînante sans être vulgaire, imprègnera en nos âmes le zèle pour les vertus théologales, si facilement oubliées, mais dont les paroles du chant nous montrent le beau rôle dans notre vie chrétienne.

Les deux autres airs récusent absolument la sensible. Ils sont composés dans l’équivalent du 1er mode grégorien. Les quelques grands intervalles de “Reviens, pécheur” ne seront pas difficiles à mémoriser, parce que l’air est bien construit autour des principales charnières du mode : on se pose sur le la (dominante) et on va ensuite chercher le ré aigu (octave de la finale) pour repartir. À part quelques fins de phrases un peu différentes (“viens sans tarder” ou “ton âme fut rebelle”), il pourrait être accompagné tout le long d’un double bourdon (tel celui de la cornemuse) ré-la. Il faut le chanter suffisamment allant (traduction du mot andante) pour que l’incitation à la pénitence ne ressemble pas à un appel désespéré. Le passage “viens sans tarder”, avec sa montée abrupte au si bémol, devra être travaillé. Quant aux variations du si dans la phrase suivante, elles ne posent pas de difficultés, elles sont naturelles. Le tempo allant aidera également à ne pas couper au milieu des phrases.

L’air breton de “Vous m’appelez” est caractéristique de ces airs très anciens et très faciles à mémoriser : peu de notes utilisées, une gamme incomplète où l’on saute des notes. Attention à bien lier l’ensemble de chaque verset pour éviter une plainte qui manquerait d’espérance. Nous avons ici un cantique facile et bien adapté au temps du Carême.

Sur des textes liturgiques

L’introduction du 1er fascicule évoquait cette directive du pape Pie XII : il convient de composer des cantiques vernaculaires sur des textes sacrés. Nous avons ici une traduction libre de l’hymne de prime par le Père Blineau, que l’auteur du célèbre manuel de cantiques, l’abbé Besnier, a mis en musique : "Dès le réveil de la lumière". Mgr Lefebvre disait qu’il n’y avait pas de meilleure prière du matin que les hymnes et oraisons de prime. Cette belle adaptation remplira heureusement cet office.

Compositeurs plus récents

Compositeur formé à la maîtrise de Notre-Dame et à l’école Choron, qui mettait à l’honneur les maîtres anciens (Palestrina, Bach), Hippolyte Monpou (1804-1841) composa beaucoup de musiques de théâtre. Mais il est aussi organiste et compositeur de musique religieuse.

Son cantique “Heureux qui dès son enfance” est de pure veine populaire, non grégorien au sens strict, mais plus proche du grégorien que la musique baroque, classique et romantique, même s’il écrit bien avant le renouveau grégorien de l’école Nidermeyer (vers 1850). Il faut chanter ce cantique très simplement, sans chercher à créer une tension dramatique dans le couplet en mode mineur, ni à “faire sauter” les rythmes pointés en les exagérant.

L’abbé Stanislas Roncin (1873-1962), curé normand, a composé beaucoup de musique religieuse, mais surtout des cantiques et des chansons populaires. “Changeons de vie” est issu d’un recueil datant de 1926, de cantiques d’église. L’abbé s’est aussi illustré dans des styles profanes, écrivant des chansons joyeuses pour la jeunesse. La mélodie de son cantique manifeste une maîtrise du style populaire. Les caractéristiques sont les mêmes que dans les cantiques indiqués ci-dessus.

Air baroque et choral protestant

Comme dans le fascicule 3, un air baroque a été inséré : "Vous qui voyez". L’air donné en référence est tiré de l’opéra l’Europe Galante d’André Campra, mais il a certainement été substitué pour la version donnée ici. Quoi qu’il en soit le style est du théâtre de l’époque : très démonstratif et expressif des passions, grâce aux chromatismes principalement (do-si-do sur “qui voyez”, par exemple). Il faut donc veiller à limiter cet effet languissant, plus adapté à l’air d’opéra “Vous brillez seule en vos retraites”.

Ce n’est pas sans appréhension que nous proposons ici deux musiques typiques de la liturgie protestante : un psaume de Goudimel et un choral de Bach. La Réforme protestante s’attacha particulièrement à donner aux offices une musique facile à chanter par tous ses fidèles. C’était en réaction à ce qu’on appelle l’ars subtilior des polyphonies franco-flamandes du 15e et 16e siècle, où le texte devenait absolument incompréhensible sous la complexité rythmique des nombreuses voix. Les protestants proposent donc : une traduction systématique en langue vernaculaire, une polyphonie où toutes les voix chantent en même temps, des phrases musicales simples et bien découpées pour que la foule suive bien et ait le temps de respirer. Paradoxalement, Jean-Sébastien Bach s’est exercé à donner une harmonie la plus riche possible à ces mélodies simples, mais ce n’est pas l’objectif des fondateurs de ce style.

Il est évident que les paroles proposées ici sont tout à fait catholiques. De nombreux chorals de Bach ont été ainsi repris sur des paroles catholiques. Veillons à ne les introduire que rarement dans notre prière, parce que ces musiques ont été composées dans un esprit qui n’est pas catholique. Mais à l’occasion, nous pouvons utiliser ces heureuses adaptations.

Voici le psaume de Goudimel, adapté sur des paroles catholiques : "Seigneur, la prière".

Voici le fascicule en question, ici.

Par l’abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la FSSPX