Le Centre Grégorien Saint Pie X interroge un de ses professeurs, M. Jean-Marie Mathieu, au sujet de son ensemble qui met en pratique le Motu Proprio de saint Pie X.

Monsieur Mathieu, vous êtes professeur au Centre Grégorien Saint Pie X, mais votre activité chorale ne se borne pas au chant grégorien puisque vous êtes, avec votre épouse et vos filles, chevilles ouvrières de l’ensemble polyphonique Pueri Teresiae. Pouvez-vous nous décrire la genèse de cet ensemble ?

Les Pueri Teresiae sont nés en 2010 sous le patronage de deux Thérèse illustres : celle d’Avila et celle du carmel de Lisieux. C’est avant tout un chœur familial créé à l’occasion du quatrième centenaire du Carmel de Bordeaux. Sous l’impulsion de leur tante carmélite et en souvenir de leur ancêtre commune, Marie-Thérèse, quatre générations ont vu là l’opportunité d’exprimer l’amour de leur famille et leur goût de la musique.

Qui sont les membres de cet ensemble ?

Ils sont une cinquantaine de choristes et instrumentistes. Certains sont professionnels dans la musique après être passés par les conservatoires supérieurs en violon, violoncelle, orgue, direction de chœur, écriture etc, beaucoup ont appris à maîtriser de nombreux instruments de l’orchestre, le chant et la direction dans les conservatoires et écoles de musique. Tous chantent dans différentes chorales paroissiales ou autres.

Quel est le répertoire de votre ensemble ?

 

Le répertoire des Pueri Teresiae est actuellement entièrement consacré à la musique religieuse afin d’abord d’honorer nos saintes patronnes, puis les thèmes successifs que nous avons illustrés.

Vous parlez de musique religieuse, plutôt que de musique liturgique. Cela signifie-t-il que la vocation de l’ensemble est plus d’organiser des concerts spirituels que d’accompagner les offices liturgiques ? Cela signifie-t-il aussi que le choix des pièces est plus large que ce que réclamerait l’application stricte des règles liturgiques ?

Effectivement la vocation des Pueri Teresiae n’est pas d’abord la liturgie, du fait bien sûr du rythme de nos rencontres mais aussi de notre histoire. Le cadre d’un concert spirituel donne effectivement une grande liberté dans le choix des pièces et leur mise en perspective à travers les thèmes que nous choisissons. Cela ne nous empêche pas lorsque l’opportunité se présente, comme lors de notre pèlerinage à Fatima et lors des nombreux mariages familiaux, de chanter des messes. Toutes les pièces de nos concerts ne sont pas adaptées à la liturgie. La frontière entre musique religieuse et musique liturgique est parfois délicate à discerner. Les deux invitent à se tourner vers le Christ, la Vierge-Marie, les Saints, en s’inspirant de textes sacrés ou en illustrant des thèmes religieux. Mais dans le cas des musiques liturgiques elles sont destinées principalement à la liturgie. Et donc elles doivent satisfaire d’abord les contraintes liées au bon déroulement de la liturgie : durée des pièces essentiellement. De plus ces pièces doivent permettre aux auditeurs de mieux pénétrer l’esprit de la liturgie et inspirer notre prière. Le cadre fixé par le Motu proprio Tra le sollecitudine est à la fois très précis mais aussi très ouvert et ainsi, il a suscité de nombreuses compositions très adaptées à la liturgie. Ensuite il y a toutes ces musiques qui nous parlent du spirituel sans qu’elles soient adaptées au cadre liturgique. On pense par exemple aux grands oratorios de la période baroque. Il y a là une très grande richesse musicale et parfois une vraie profondeur spirituelle, mais ces œuvres ont été conçues pour le concert ou pour d’autres occasions que la liturgie. La forme, l’instrumentation s’éloignent alors de ce qui est souhaitable dans le cadre liturgique. Par ailleurs l’Église a toujours voulu éviter que l’inspiration des musiques profanes ne pénètre les musiques liturgiques. C’est ainsi que nous trouvons de nombreuses œuvres religieuses marquées par des formes musicales profanes (opéra, danse…). Nous les réservons à nos concerts. Notre programme 2020 illustrera cette idée.

Pouvez-vous nous décrire l’organisation du travail de votre ensemble ?

La famille des Pueri Teresiae est dispersée à travers la France et l’Europe. Le travail est organisé en conséquence. Ils se retrouvent pour monter une série de concerts environ tous les deux ans. Le travail se fait à distance avec les moyens modernes : mise à disposition d’un serveur sur internet avec toutes les partitions, les enregistrements voix par voix, les enregistrements de référence, les documents de référence avec la composition des différents chœurs (Tutti, chœur d’enfants, chœur d’hommes, chœur de femmes, petit chœur).

Chacun est encouragé à travailler personnellement avec le matériel fourni. Quelques membres plus chevronnés visitent les familles régulièrement pour les faire répéter pendant l’année qui précède nos « cousinades ». L’objectif est que tous les chanteurs arrivent à notre semaine de cousinade avec l’ensemble des œuvres déchiffrées. Nos concerts vocaux sont en général complétés d’œuvres instrumentales pour orgue, violon, violoncelle, flûte.

En quelques jours de vie commune, durant nos cousinades, se fait la mise en place de l’ensemble du programme et le travail d’interprétation. Le travail quotidien d’environ 6 h est précédé par de nombreux exercices de technique vocale. Le programme des répétitions est minutieusement préparé en amont pour les différents chœurs. Ce travail est complexe du fait, bien sûr, que chacun chante dans plusieurs chœurs et qu’il faut ménager les voix.

Avec un tel travail, vous devez avoir des prestations de niveau professionnel ! Pouvez-vous décliner les grands événements qui ont marqué l’histoire de votre ensemble ?

En 2010 les Pueri Teresiae se sont produits à la cathédrale de Bordeaux et dans la région bordelaise. Nos deux saintes Thérèse ont été honorées à travers un programme très varié allant du grégorien au XXè siècle. Nous avons eu l’occasion de sortir de l’oubli des œuvres du père Hermann-Cohen qui fut un génie du piano formé par Liszt, puis se convertit, devint carme et composa de nombreuses œuvres vocales et instrumentales, en particulier au profit des communautés religieuses dans le besoin. Nous avons retenu entre autres un Flos Carmeli qui traduit bien la musique de cette époque. Nous avons aussi honoré la mémoire d’un authentique maître de chapelle à la cathédrale de Bordeaux : le père Berchten. Il a composé d’innombrables œuvres vocales dont un très simple cantique à sainte Thérèse interprété par notre chœur d’enfants (https://youtu.be/eFfguz9C9Ok)

En 2012 on fêtait le sixième centenaire de sainte Jeanne d’Arc. Connaissant la dévotion de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus pour sa « sœur chérie », nous avons monté un programme illustrant sainte Jeanne d’Arc avec des textes de sainte Thérèse et un programme musical correspondant. Le grandiose Cantique à sainte Jeanne d’Arc de Guy Ropartz a été interprété dans la cathédrale du Luçon (https://youtu.be/0JXn7k7bW_4), à Nantes et dans la basilique de Lisieux l’année suivante.

En 2015, à l’occasion du 5ième centenaire de Ste Thérèse d’Avila, les Pueri Teresiae ont retrouvé l’Aquitaine avec un programme tourné vers l’Espagne de Thérèse. Ils ont honoré la « Maestra de la luz » dans des pièces vocales du XVIème siècle au XXIème. Avec de nombreux instruments, ils ont illustré la marche des pèlerins vers Saint-Jacques avec le Libbre vermeil de Montserrat. Thomas Louis de Vittoria a été à l’honneur avec son O Magnum Mysterium. Des poèmes de Ste Thérèse d’Avila ont été interprétés sur des musiques espagnole du XVIème siècle. Enfin le XXème siècle a été illustré avec le beau Nigra Sum de Pablo Casals.

Le centenaire de ND de Fatima en 2017 fut l’occasion d’un grand pèlerinage des Pueri Teresiae à Fatima. Ils purent ainsi servir directement la liturgie du pèlerinage de la Fraternité Saint Pie X en plein air et donner un concert au Carmel de Fatima. C’est un élément auquel nous tenons beaucoup : porter le témoignage d’une grande famille chrétienne et musicienne auprès de celles qui ont été à l’origine de notre fondation. Nous avons découvert à cette occasion le Haendel polonais : Grzegorz Gerwazy Gorczycki dans un magnifique Tota Pulchra es.

Quel est votre nouveau projet pour 2020 ?

À l’occasion du 10ème anniversaire de l’Ensemble Pueri Teresiae, et comme l’ensemble se dédie plus particulièrement à l’élaboration de concerts spirituels, nous avons décidé cette année de construire le programme autour du Motu proprio Tra le sollecitudine de Saint Pie X, promulgué en 1903. Ce Motu proprio concerne au premier plan tous les musiciens d’église, car il précise et légifère sur nombre d’aspects musicaux que le XIXème siècle a eu tendance à oublier. Notamment, il remet à l’honneur le chant grégorien, la musique polyphonique dans le sillage de Palestrina et invite les compositeurs modernes à créer des œuvres qui aident à l’élévation de l’âme et à la prière.

Ce Motu proprio visant à écarter les excès, il ne condamne pas pour autant toute la production musicale antérieure, mais il change profondément la physionomie de la musique d’Église au tournant du XXème siècle.

Comment est construit le programme de votre concert ?

Le programme s’articule en trois parties conçues en forme d’arche.

La première partie sera consacrée à la musique telle qu’elle était conçue avant le Motu proprio : Salve Regina de Rossini, Flos carmeli du Père Hermann, Psaume 150 de Franck, Laudate Pueri de Mendelssohn, Ave verum de Gounod.

Certaines de ces pièces présentent des formes d’excès dénoncés par Saint Pie X. Ainsi, le Flos Carmeli du Père Hermann a un style d’écriture qui semble de nos jours, plus adapté à un bal musette qu’à une musique religieuse à la gloire du Carmel. Le Salve o Vergine Maria de Rossini présente aussi de nombreux artifices qui appartiennent plus à l’opéra qu’à l’église : intervalles acrobatiques, changements brutaux de nuances, ainsi que de nombreux chromatismes typiques de cette époque. Il s’agit donc d’œuvres où la responsabilité de l’interprète est grande : elles peuvent devenir des musiques de foire, ou garder un caractère plus recueilli selon la façon de s’en emparer.

C’est pourquoi nous avons placé une partie centrale dans le programme de concert, uniquement dédiée au chant grégorien, au travers de deux pièces, chantées a cappella. Il s’agit en effet de la principale demande du Motu Proprio : remettre le Grégorien au centre de la liturgie, car celui-ci rassemble de façon parfaite les critères de sainteté, d’excellence de la forme ainsi que d’universalité.

Nous arrivons alors à la troisième et dernière partie du concert qui concernera, elle, les œuvres qui suivent les recommandations de Saint Pie X. Nous aurons ainsi le Magnificat grégorien encadré de deux extraits des Vêpres de Dupré à l’orgue, le Jesu Rex admirabilis ainsi que le Sicut cervus de Palestrina, Tu es Petrus de Leonce de Saint-Martin, Nigra Sum de Pablo Casals, Ubi Caritas de Ola Geilo, O Jésus O véritable époux (composition du Carmel de Talence), ainsi que deux pièces chantées par les enfants.

Pouvez-vous préciser en quoi ces compositions antérieures ou postérieures au Motu Proprio mettent en valeur les principes développés par saint Pie X ?

Les Vêpres de Dupré permettront de mettre à l’honneur l’orgue, instrument privilégié et recommandé par Saint Pie X dans le cadre de la liturgie. La musique de Dupré est généralement basée sur des modes et tire souvent ses thèmes principaux du chant grégorien. Elle se marie alors particulièrement bien avec du Grégorien psalmodié.

Nous avons également deux pièces de Palestrina, l’unique compositeur donné en référence par Saint Pie X. Le Ubi caritas de Gjeilo illustre aussi parfaitement une production toute récente, mais imprégnée du chant grégorien, de sa modalité, de son rythme1.