Le mouvement local, cause du son et de ses qualités sensibles

Après avoir distingué trois plans dans l’analyse du mouvement sonore, commençons par nous arrêter sur le mouvement local.

Tout son comporte, à titre de fondement premier et de cause essentielle, un mouvement local ondulatoire, ou vibration du corps à travers lequel il se propage. Il n’y a pas de son, s’il n’y a pas un corps physique en mouvement plus précisément en vibration, et s’il n’y a pas de propagation de cette vibration.

Quelques considérations physiques nous permettrons de décrire sommairement différents aspects de ce mouvement, et des moyens de l’analyser.

1 La production du son

Pour le son, tout commence avec la vibration d’un corps physique, c’est-à-dire le mouvement autour d’une position d’équilibre. Pour que cette vibration donne lieu à un son audible par l’homme, il faut qu’elle ne soit ni trop lente, ni trop rapide. Il faut qu’elle se situe entre vingt et vingt mille oscillations par seconde.

 

Par exemple, la corde de violon, mise en mouvement par l’archet va entrer en oscillation. Nous ne pouvons décrire ici tout le mouvement complexe qui en résulte. Limitons-nous à la vibration transversale.

C’est la plus anciennement et la mieux connue, parce qu’elle est observable à l’œil nu. Lorsqu’on écarte la corde de sa position d’équilibre et qu’on l’abandonne à elle-même, elle se met à vibrer et décrit une espèce de fuseau plat, facile à observer, car il est limité par deux lignes nettement définies, correspondant aux deux positions de la corde où la vitesse est nulle. Le mouvement de la corde théorique, qui n’aurait ni raideur, ni frottement internes, serait périodique et de durée infinie 1.

Moyennant quelques approximations, et en ne prenant en compte que la tension de la corde, la fonction y(x, t) décrivant la position de la corde à chaque instant obéit à l’équation aux dérivées partielles 2 :

T est la force de tension (en newtons)

μ sa masse par unité de longueur (en kilogramme par mètre).

La solution de cette équation, pour une corde de longueur L, fixée aux deux extrémités, pincée en son milieu selon un triangle de hauteur h, s’écrit :

Malgré les approximations effectuées, cette solution met bien en lumière les principaux paramètres de la perception du son.

En chaque point de la corde, elle se présente comme la somme d’une suite de cosinus de fréquences 3 multiples d’une fréquence fondamentale.

Ce sont les différents harmoniques. Pour une telle corde pincée, seuls les harmoniques impairs sont présents, et leur décroissance est rapide 4. Sans surprise, la grandeur h donne l’amplitude du mouvement.

Le simple mouvement transversal de la corde présente plusieurs aspects caractéristiques, qui sont fondamentaux dans l’étude du mouvement sonore :

– fréquence fondamentale des vibrations

– l’amplitude des vibrations

– la répartition des différents harmoniques, qu’on appelle communément le timbre d’un son, qui varie selon les instruments et la manière de les jouer.

L’expérience de ce mouvement de corde pincée est très facile à réaliser, par exemple sur un arc, et il est à l’origine de tous les instruments à corde, que les cordes soient pincées comme pour la harpe, frottée comme pour le violon, ou frappée comme pour le piano.

Il existe d’autres phénomènes physiques de production du son. En prenant les mêmes approximations dans la mise en équation de ces phénomènes, on obtient le même genre de solution. Ainsi, nous nous dispenserons de l’étude des tuyaux.

Comme nous l’avons noté plus haut, les hypothèses utilisées pour écrire et résoudre l’équation de propagation, simplifient beaucoup l’étude du mouvement sonore. Parmi ces éléments qu’il faudrait ajouter pour décrire plus précisément, le mouvement sonore, contentons-nous de mentionner :

– l’amortissement du mouvement, s’il n’est pas entretenu de l’extérieur,

– les transitoires d’attaque et d’extinction du son, qui se distinguent nettement de la partie centrale du mouvement sonore.

Ces dernières remarques permettent de mettre en lumière une nouvelle caractéristique dans le mouvement sonore : la durée de chaque note.

Ce premier mouvement, dans certaines conditions que nous évoquerons plus loin, donne lieu à un phénomène sonore. La corde n’a pas seulement un mouvement local, visible à l’œil nu, elle produit un son perceptible par nos oreilles.

2 La propagation du son

Le son produit par le mouvement de la corde, de l’anche ou de la colonne d’air se propage ensuite dans les différents milieux qui l’entourent.

Cela commence avec l’instrument, qui est conçu pour amplifier et enrichir en harmoniques le son primitif. Les différentes propriétés physiques et les dimensions des pièces de l’instrument vont jouer un rôle important dans la propagation de la vibration primitive.

Cela continue avec la salle dans laquelle l’instrumentiste joue, qui a ses propriétés acoustiques : résonance, amortissement, …

Ce domaine est difficile à mettre en équation, car les phénomènes qui entrent en jeu sont complexes et résistent à la modélisation physico-mathématique. Nous n’avons étudié ici qu’un son très simple, avec de grosses approximations, et déjà les calculs sont laborieux. Inutile de préciser qu’étudier la propagation du son dans une salle de géométrie complexe conduit à des calculs très fastidieux, voire impossibles à mener dans un temps raisonnable sans l’outil informatique. On comprend pourquoi la lutherie et l’acoustique des salles ont toujours été très empiriques.

En effet, tout l’art du facteur d’instrument puis de l’artiste vise à travailler le son élémentaire, à l’enrichir et à le varier, pour qu’il puisse rivaliser avec les possibilités de nuances de la voix humaine, seul instrument de musique donné par la nature. Le facteur puis l’artiste cherchent à tirer parti des propriétés physiques de l’instrument, du milieu ambiant, et surtout des propriétés physiologiques et psychologiques du sujet qui écoute. En effet le mouvement sonore musical n’est pas seulement une onde mécanique complexe, mais dans l’intention de celui qui le produit, il est d’abord destiné à être perçu par une oreille humaine.

3 Le mouvement sonore fixé par l’enregistrement

Inutile d’insister plus sur la complexité d’une analyse purement théorique du mouvement sonore à partir des équations des phénomènes. Il est plus facile de s’intéresser au résultat de ces différents phénomènes physiques, et d’enregistrer le mouvement sonore en un point de l’espace à l’aide d’un microphone.

Les sons musicaux réels, vivants, qui sont l’objet de nos préoccupations sont restés longtemps entourés de mystère. Jusqu’à une époque très récente, ils échappèrent à la description et aux mesures précises pour une raison très simple : un son musical est, en effet, un phénomène aérien, donc invisible, évanescent, insaisissable, continuellement changeant. À peine produit, il s’envole, se dilue dans l’air, disparaît et il n’en reste de trace que dans notre mémoire, bien infidèle et subjective… Une seule voie reste donc ouverte : chercher à matérialiser, à visualiser le son 5.

À la fin du XIXe, Édison réalise le premier phonographe, qui fixe dans la cire un sillon qui représente le signal acoustique. Son système est réversible, ce qui permet de restituer le son ainsi enregistré. Depuis d’immenses progrès ont été réalisés. Et il est facile aujourd’hui d’enregistrer le mouvement sonore, de le visualiser sur un écran d’ordinateur, de modifier le signal, et surtout de reproduire le mouvement ainsi enregistré au moyen du haut-parleur.

Regardons par exemple, le tracé de ce mouvement sonore sur un enregistrement de l’offertoire Dextera Domini du Jeudi saint.

La différence entre les signaux issus des deux micros est nette. Ce qui illustre bien la complexité de la diffusion du mouvement sonore. Les grosses variations d’amplitude sont bien visibles, mais le tracé ne permet pas d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse du signal.

En s’inspirant des aspects théoriques évoqués plus haut, on peut s’interroger sur la répartition des fréquences dans ce mouvement vibratoire. Bien sûr le microphone ne fait qu’enregistrer la variation d’une pression au niveau de sa membrane. Dans le mouvement complexe qu’il enregistre, il est nécessaire de bien distinguer deux aspects :

– la variation locale de l’amplitude responsable des phénomènes de hauteur et de timbre d’une seule note.

– la variation globale du mouvement liée aux différentes notes.

La première variation est nécessaire à la production du son, tandis que la seconde est nécessaire à la musique, une seule note isolée n’ayant jamais eu beaucoup d’intérêt pour un musicien. Comme nous le verrons plus loin, la perception de ces deux types de variations est très différente au niveau de l’oreille humaine.

Mathématiquement, il est possible de représenter cette distinction en traçant un diagramme temps-fréquence, qui donne la répartition des fréquences à chaque instant. Ce calcul, classique en traitement du signal, est basé sur la Transformée de Fourier. La plupart des logiciels de traitement du son peuvent effectuer ce calcul, et afficher le résultat avec des couleurs qui varient avec l’intensité de chaque fréquence.

 Sans surprise, on voit bien apparaître les différents harmoniques, multiples d’une fréquence fondamentale. En isolant cette fréquence fondamentale, on peut tracer la courbe ci-dessous, qu’il est facile de comparer à la partition de départ.

 Conclusion

Ces quelques lignes permettent d’entrevoir la complexité du mouvement sonore, c’est-à-dire du mouvement des différents corps physiques qui entrent en jeu dans la musique. Les techniques actuelles d’enregistrement, et l’outil informatique grand public permettent de décrire ce mouvement d’une manière très satisfaisante.

Remarquons seulement que ce mouvement local ondulatoire n’est pas, comme tel, l’objet propre connu par notre sens auditif. Si nous en savons l’existence, c’est (dans certains cas au moins) par nos autres sens externes (vue et toucher), et surtout par notre intelligence, capable de reconnaître ce mouvement au moyen d’un raisonnement à base expérimentale. Ce que notre oreille entend, ce n’est pas un mouvement local, mais une qualité, un son, dont la nature est fort différente de celle des vibrations qui en sont la cause 6.

Ce sera l’objet de notre prochain article sur le mouvement sonore dans le plan de la perception sensible.

1 E. Leipp, Acoustique et musique, Masson, 1976, p. 165

2 C’est l’une des formes de l’équation de d’Alembert, qui intervient dans l’étude de nombreux phénomènes ondulatoires.

3 C’est le nombre d’aller-retour autour de la position d’équilibre par seconde. On le mesure en Hertz (Hz).

4 Pour la corde frappée du piano, la décroissance est en 1/n. D’où un son plus riche en harmonique.

5 E. Leipp, Acoustique et musique, Masson, 1976, p. 68

6 Dom Frénaud, RG 1935, p. 215