Au IXe siècle, Charlemagne souhaite réaliser l’unité de son Empire. Il introduit alors une grande réforme dans la liturgie et le chant liturgique par fusion des héritages romain et franc. Pour cela, il fait venir quelques chantres romains à Aix-la-Chapelle, c’est alors que se constitue notre actuel répertoire grégorien. Le plus ancien témoin du répertoire grégorien, le tonaire de Saint-Riquier (copié peu avant l’an 800) classe les pièces dans ce système de huit modes.

On ne sait pas, au juste, si ces modes sont une structure de composition à l’époque ou un simple règle d’accord entre l’antienne et le ton de psalmodie (pour l’Office, mais aussi pour l’Introït ou la communion) à destination des chantres. La plupart des pièces rentrent dans ce cadre, mais de manière très souple.

Suivant l’ouvrage de dom Saulnier, Les Modes Grégoriens, après un tableau général, nous détaillerons chaque mode avec des exemples musicaux.

Quatre finales et deux types de dominantes

Les modes sont classés selon leur dominante et leur finale, ces deux pôles avec lesquels nous nous sommes familiarisés depuis le début de notre étude.

Les finales sont reprises des modes archaïques, si ce n’est que le mode de do est dédoublé selon ses deux transpositions : sur fa et sur sol. On obtient ainsi 4 modes principaux, appelés authentes dont la dominante est en général à la quinte de la finale :

Nom du mode

Finale

Dominante

Protus

La

Deutérus

Mi

Si, aujourd’hui Do

Tritus

Fa

Do

Tétrardus

Sol

Ces noms ne sont que le décalque des termes grecs : 1er, 2e, 3e et 4e.

On y ajoute des modes dérivés, ou plagaux qui s’étendent moins vers l’aigu, mais plutôt au grave de leur finale. Leur dominante est donc en général à la tierce de la finale :

Nom du mode

Finale

Dominante

Protus

Fa

Deutérus

Mi

La

Tritus

Fa

La

Tétrardus

Sol

Do

Ainsi nous pouvons constituer le tableau suivant :

Nom du mode

Finale

Dominante

Éthos

Protus authente

1er

La

Gravis

Protus plagal

2e

Fa

Tristis

Deutérus authente

3e

Mi

Si ou Do

Mysticus

Deutérus plagal

4e

La

Harmonicus

Tritus authente

5e

Fa

Do

Lætus

Tritus plagal

6e

La

Devotus

Tétrardus authente

7e

Sol

Angelicus

Tétrardus plagal

8e

Do

Perfectus

Le 1er mode

exemples11 modegreg

L’intonation des pièces en 1er mode parcourt très facilement la quinte finale-dominante avec un do ornemental au grave et un sib ornemental à l’aigu. C’est l’intonation classique du Gaudeámus, par exemple. La mélodie peut ensuite se stabiliser sur la dominante, qui devient elle-même finale d’un protus transposé (plutôt plagal) qui gravite entre deux nouveaux pôles : la et do. À ce moment le si devient bécarre par attraction du do.

exemples13 modegreg

Le sol peut acquérir une grande importance comme repos alternatif de la dominante la. Il apporte alors une nouvelle couleur modale parce qu’il est une finale du mode de do transposé (lorsque le si bécarre est entendu). Mais il peut aussi être la dominante réelle de certaines pièces : voyez la communion Petíte.

exemples12 modegreg

Le fa, quant à lui est le point d’étapes entre le ré et le la. À l’époque médiévale, l’accord parfait n’existe pas vraiment, mais la tierce garde son importance au milieu de la quinte. Puisque c’est la dominante du mode dérivé (le 2e), il peut acquérir un rôle dominant dans certains passages où il devient corde de récitation provisoire. Il est aussi le point de départ de l’intonation courte, comme dans certaines antiennes de Magnificat de grandes fêtes : Hódie.

exemples14 modegreg

Le do grave ne sert pas que d’ornement pour l’intonation. Il joue aussi par rapport au ré, le rôle du sol par rapport au la : repos alternatif, ou cadence suspensive parce qu’elle apporte une couleur modale de do.

Les anciens qualifiaient ce mode de gravis, ce qui signifie sérieux ou mûr. Magnifique sans être pompeux, « il est un mode de majorité bien acquise, celle de l’adulte à la foi sûre », nous dit le chanoine Jeanneteau.

Le 2e mode

Paradoxalement, ce mode dérivé est plus proche du mode archaïque de ré que son homologue authente. Cela se remarque dans les anciennes pièces en mode archaïque de ré, qualifiées de 2e mode (traits du Carême), mais aussi dans l’intonation qui saute le si, comme nous le disions : la do ré. Il lui arrive de façon très fréquente, d’utiliser une gamme de six notes (gloria de la messe XI), ou moins (introït de la messe de minuit de Noël : Dóminus díxit ad me).

exemples22 modegreg

Le fa est sa dominante officielle. De fait cette corde est très présente dans toutes les pièces. Toutefois le sol peut lui faire une grande concurrence et devenir la vraie dominante. C’est le cas dans l’introït des Apôtres : Míhi autem. D’autres fois, il n’est que le rare éclairage d’une mélodie qui plafonne au fa (Dóminus díxit ad me).

exemples21 modegreg

Dans ce mode plagal, le mi acquière plus d’importance, au cœur de la tierce finale-dominante. Il peut amener des cadences en mode de mi (4e mode) comme dans le célébrissime allelúia Véni Sáncte Spíritus (chanté à genoux pendant toute l’octave de la Pentecôte) sur le mot amóris.

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Les cadences sur do sont également plus fréquentes, puisque ce mode visite le grave de la tessiture. Le si grave reste très rare, mais un exemple reste incontournable : le « demónio meridiáno » de l’interminable trait du premier dimanche de Carême (psaume 90), au verset 6.

Il existe des cadences sur le la grave qui sont plutôt des repos passagers avec des formules inversées par rapport à l’intonation : ré – do – ré – do – la.

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Ce mode est qualifié de tristis. En effet il se cantonne dans la partie la plus grave de la tessiture grégorienne et peine à monter. Les traits du Carême expriment bien ce sentiment de contrition par l’ethos du 2e mode. Mais ce mode est aussi rempli de paix, en particulier par ses repos sur le fa. « Les deux aspects de tristesse et de paix peuvent sembler contradictoires. Mais dans l’un et l’autre cas, le chanteur s’occupe de soi-même ; il est introspectif et subjectif », dit encore le chanoine Jeanneteau.

Le 3e mode

Dès la fin du Xe siècle, beaucoup de pièces de ce mode subissent une altération mélodique : la dominante (comme corde de récitation) passe de si à do. Il reste toutefois un certain nombre de dominantes à si, et les bénédictins l’ont restituée dans leurs tons psalmodiques. D’autres fois la dominante de l’antienne est le si, celle du psaume le do, comme dans les complies du mercredi (Immittet Angelus). Ce passage du si au do retire un peu la couleur de deutérus au 3e mode et le rapproche du 8e. C’est pourquoi il n’est pas rare de retrouver toutes les formules du 8e mode jusqu’au dernier moment, où apparaît la partie grave et le repos sur le mi.

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Cette variation, mais aussi les autres dans l’échelle de ce mode, lui donnent une grande incertitude : on ne peut pas fixer très précisément le rôle des différents degrés. Par exemple, lorsque le ré acquiert une grande importance comme finale d’incise, le si peut devenir bémol, ce qui nous fait perdre les repères habituels du mode. Voici l’exemple du graduel de la fête de saint Michel :

exemples35 modegreg

Le la et le sol sont le point de jonction de la partie haute, inspirée du 8e mode, avec la partie basse. Bien souvent la mélodie se pose plusieurs fois sur la finale sol avant de terminer avec cette formule caractéristique qui prend appui sur le la pour descendre au mi :

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Nous traiterons du rôle du fa au sujet du 4e mode. Son rôle est identique, mais moins fréquent dans le 3e.

Le mi a toute l’importance de son rôle de finale. Il est aussi le point de départ de la formule classique d’intonation, comme dans l’introït du Christ-Roi. Toutefois le ré vient quelquefois alterner avec la finale mi pour donner une autre couleur modale.

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Quant à son ethos, « il est le plus mystérieux de tous les modes », dit dom Gajard. C’est un peu ce que signifie le mysticus des Anciens. On ne sait pas trop à quoi l’associer tellement ses présentations sont diverses. Le chanoine Jeanneteau trouve le maître mot de ce mode dans « l’ardeur fervente, intérieure et extérieure du mystique, expression du tonus exceptionnel du mystique dans la contemplation, les saints désirs, la joie laudative, et, toujours, la “vive flamme d’amour”. Cette ardeur dans divers états d’âme, on la constate en sa forme mystique dans le Cantique du Soleil de saint François d’Assise comme dans le Cantique spirituel de saint Jean de la Croix, l’un des plus grands écrivains du “Siècle d’Or” espagnol. »

Le 4e mode

Le même procédé d’altération a touché le 4e mode, mais cette fois-ci sur sa finale. Certaines récitations sur fa, certaines finales de mots, ne sont pas authentiques. Comme souvent l’attraction vers le haut du demi-ton se fait sentir.

Le sol et le la rivalisent parfois comme dominantes, surtout dans les récitations. Ainsi les répons des Matines dans ce mode (voir ceux du Samedi Saint) récitent partiellement sur le la, mais surtout sur le sol. Même le mi peut être corde de récitation, à la manière d’un mode archaïque.

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En effet ce mode monte peu, rarement jusqu’au do. La pièce se développe toujours très progressivement vers l’aigu. Le si peut alors être bémol, si la corde de récitation est sol, plutôt bécarre lorsque la mélodie récite sur le la. Mais si l’on analyse l’introït du Jeudi Saint, Nos Autem, ce n’est pas systématique.

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Le jeu sur le demi-ton fa-mi ou mi-fa est constant dans le 4e mode. Il est l’objet des cadences habituelles ou renversées (mi-fa). Dans certaines pièces il représente la quasi-totalité de la structure, les autres notes sont rares. Le chanoine Jeanneteau qualifie le fa de “balcon” sur lequel la mélodie se suspend afin de ne pas finir sur le mi.

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Mais le mi lui-même laisse bien souvent une sensation d’inachevé. C’est l’ethos propre de ce mode, Dom Gajard aimait à dire que « c’est un mode qui ne finit pas ».

Avant de revenir à l’ethos, n’oublions pas un dernier degré important : le ré. Il fournit des cadences intermédiaires qui apportent une couleur de protus. Il est aussi bien souvent la note de départ de la pièce. D’une tierce d’intonation ré-fa, on passe donc à la tierce finale sol-mi. Le ré peut encore être l’occasion de monter directement à la dominante (ré-la), rappelant ainsi le cousinage par la dominante des 4e et 1er modes.

Les Anciens qualifiaient ce mode d’harmonicus, probablement en référence à l’harmonia des Grecs, puisque leur tétracorde de référence se termine au grave par ce fameux demi-ton (la-sol-fa-mi). Il est certain en revanche que c’est le mode le plus étranger à la musique tonale. Son ambitus en général très restreint (mi-sol parfois) le rend très intérieur, mais surtout extatique et contemplatif. Mais lorsqu’il se développe au-dessus du la, il devient enthousiaste et lyrique, comme dans les grands offertoires de Noël, Pâques et la Pentecôte.

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Le 5e mode

Le 5e mode s’apparente de près à notre majeur moderne. Tout au moins il est construit sur un accord parfait majeur presque claironnant « fa la do », pour aller de sa finale à sa dominante et inversement. Dans son élan, il peut monter facilement jusqu’au fa aigu. Le cas est fréquent dans les graduels qui ont un changement de clé entre le répons et le verset, en raison de l’ambitus particulièrement étendu de ce mode.

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Comme en 1er mode, la dominante peut elle-même devenir finale d’un tritus transposé, l’ancien mode de do. Dans ces repos très ornés à la dominante, le ré et le mi sont très utilisés. En effet, toute la différence avec notre majeur moderne est que la finale n’est presque jamais précédée de la note inférieure au demi-ton, la “sensible” des classiques. En grégorien, pas d’attraction si-do, ni d’attraction mi-fa.

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Le si existe bien, mais son rôle est de faire entendre le triton solennel du mode de fa : « fa sol la si ». Il est donc sans rapport au do. Toutefois la dureté du triton, appelé “diabolus in musica”, fait que le si est très souvent abaissé. Certaines pièces grégoriennes, tels les kyriale, pourraient porter le bémol à la clé. En effet aucun si n’est bécarre, dans le kyriale VIII, par exemple. Mais cela nous place en mode imprécis, entre tritus et tétrardus, parce qu’on passe dans ce dernier par transposition au ton supérieur.

Le la peut faire l’objet de cadences intermédiaires qui donnent une couleur de protus. Mais la mélodie utilise aussi le sol comme repos en descendant du do, en raison du cousinage du 5e et du 8e mode par la dominante.

Nous parlerons des développements au grave dans l’étude du 6e mode, parce que cette partie de la tessiture lui appartient principalement, le 5e n’y fait que des emprunts.

Les anciens qualifient ce mode de joyeux, “lætus”. En effet son élancement sur la quinte du départ lui donne un souffle parfois impétueux, on peut dire qu’il trompette. Mais quelques pièces n’ont pas cette joie claironnante : le Christus factus est du Jeudi Saint commence dans le grave, d’ailleurs plutôt dans un contexte de 6e mode. Il faut aussi placer dans cette catégorie quelques répons de la Semaine Sainte : Caligavérunt, Jerusalem surge (ou plutôt luge dans l’original, disent les commentaires), Plange et Ecce vidímus. En réalité ces répons font de nombreux emprunts à d’autres modes plus tristes ou plus sérieux (par des finales sur la, sol, ou même si) ou provoquent une grande dureté par le jeu sur le triton.

Le chanoine Jeanneteau dit que « c’est un mode de transition entre la monodie modale et la musique tonale. »

6e mode

Appartenant également au tritus, il possède aussi de fortes similitudes avec le mode majeur. Toutefois il ne s’étend pas sur l’octave tonale fa-fa et sa dominante se limite au la.

Le do aigu est sa limite, l’usage prolongé ferait basculer en 5e mode. Le si est donc rarement bécarre puisqu’il est attiré par le fa. Dans cette partie le mode est transposable au ton supérieur en tétrardus. Si le la est teneur psalmodique, il ne revêt pas une grande importance dans la composition, voyez l’introït Quasi modo du dimanche in Albis. Le sol fait plus facilement l’objet de récitations et de cadences intermédiaires.

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Le fa est donc hégémonique dans ce mode. En ce sens il s’agit vraiment d’un mode de do transposé sur fa (c’est la raison du sib). La plupart des récitations dans les antiennes se fait sur la finale. Voyez l’exemple caractéristique de l’introït des Confesseurs : In Medio.

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À part dans quelques pièces très récentes, le mi est rarement entendu afin d’éviter toujours l’effet “sensible”. Le seul cas authentique de mi placé en position de sensible est la fin de la communion Exultabit. Bien souvent le mi est complètement absent, tel est le cas dans l’introït Requiem.

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Le ré et le do donnent lieu à des cadences intermédiaires. Il faut préciser que le ré donne ainsi une couleur de protus et fait le rapprochement avec le 1er mode, cousin par la dominante (voir les formules psalmodiques très similaires). Cette couleur se trouve aussi dans les intonations qui partent du ré. Le do reste dans l’ambiance du tritus.

“Sextus devotus” disaient les anciens. En effet c’est le mode de la piété, un mode très simple dans ses moyens et donc rempli de l’esprit d’enfance. Le choix de ce mode pour l’introït Quasi modo est significatif : il exprime la dévotion très suave de l’enfant vis-à-vis de son Père, c’est la vertu de piété. C’est aussi le mode de l’espérance, l’introït Requiem en est l’archétype. Le 6e mode est donc à l’opposé du 5e, justement en raison de son archaïsme.

Le 7e mode

L’intonation du 7e mode franchit rapidement la quinte finale-dominante, voyez pour cela l’introït du jour de Noël : Puer natus, l’introït du 3e dimanche de Carême : Oculi mei, l’introït de l’Ascension : Viri Galilæi et l’In paradisum, très expressif.

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Ce mode pousse jusqu’à la limite aiguë du répertoire grégorien, au-delà de l’octave de la finale, jusqu’au si aigu. Le terme aigu habituel est le sol, octave de la finale, entendu en faisant sonner la quarte complémentaire de l’intonation (ré sol) comme dans l’allelúia Pascha nostrum du jour de Pâques.

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Lorsque la mélodie transforme la dominante ré en finale, momentanément, il y a une quasi-modulation en protus plagal à l’aigu et le fa devient donc la dominante. La mélodie peut alors réciter sur le fa aigu, sans s’interdire le si bécarre, formant alors un triton bien désagréable à l’oreille, comme dans cette antienne qui introduit la bénédiction des cendres.

exemples71 modegreg

Le ré est bien la dominante, mais le do peut lui faire une concurrence sérieuse. Il fait l’objet de nombreuses cadences intermédiaires où il fait figure de repos. En effet il reste dans la couleur modale générale du tétrardus, bien que secondaire étymologiquement. Il peut aussi faire l’objet de récitations, par emprunt passager au 8e mode.

Le si et le la font encore l’objet de nombreuses cadences intermédiaires. Tout ceci permet au 7e mode d’intégrer largement les autres couleurs modales : protus comme deutérus.

La finale sol est très aidée par la sous-finale fa, tout comme en protus. Ceci permet de trouver les mêmes intonations qu’en 1er mode (« do ré la » devient « fa sol ré ») avant que le si bécarre vienne lever le doute. Voyez le répons Récessit.

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Quant à son ethos, « ce mode est simple, sans apprêt, d’une jeunesse sans complexité, sans arrière-pensées, d’un enthousiasme convaincu et naturel », dit encore le chanoine Jeanneteau. Appelé “angelicus” par les anciens, il est très utilisé pour les textes qui parlent des anges (In Paradisum, introït Adorate, Puer natus, antienne Angelus). Il est aussi “ailé” dans son attraction vers l’aigu. Quelques pièces sont moins enthousiastes, mais elles restent ardentes, tel l’allelúia De profundis.

Le 8e mode

Ce dernier mode se caractérise par l’utilisation des deux quartes ré-sol et sol-do (cette dernière correspond à la relation finale-dominante). Dans la phase ascendante l’accord parfait (fa la do) est possible, mais dans un esprit tout différent qu’en 5e mode.

Le do est la dominante habituelle, corde de récitation principale. Toutefois le ré peut prendre sa place et opérer une bascule momentanée en 7e mode. En revanche le si se présentera plutôt comme la dominante originelle en raison de sa position à la tierce de la finale (mais ce n’est pas aussi fréquent qu’en 3e mode. Il n’est que très rarement bémol.

Le la sert de repos intermédiaire, il apporte une couleur de protus. Mais la corde principale reste la finale sol qui peut faire l’objet de récitations. Cette finale est un centre de symétrie, d’une part entre le la et le fa, dont le rôle est similaire, d’autre part entre le ré grave et le do aigu, mais quelquefois aussi entre le mi et le si comme ornements intermédiaires.

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Le fa est non seulement la sous-finale du 8e mode, mais aussi une corde de repos ou de récitation alternative. Mais comme tout mode plagal, il descend facilement, tout au moins vers le ré (voyez les intonations comme l’introït Spiritus Domini), voire le do, plus rarement.

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Ce mode est appelé “perfectus”, peut-être en raison de son chiffre 8, mais de toute façon en raison de sa solennité due aux quartes grave et aiguë qui le structurent. Il peut même les combiner dans l’arpège ré – sol – do. On l’appelle sur-majeur parce qu’il ajoute à la tierce majeure (sol-si) le ton plein inférieur (fa-sol) qui augmente sa solennité. Tout ceci le rend universel, le type même de la psalmodie, par exemple, ainsi que le mode des hymnes les plus utilisées (Te Lucis, Lucis Creátor).

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Conclusion

Comme nous l’avons déjà dit, l’octoechos ne permet pas de classer toutes les pièces du répertoire de façon satisfaisante. Mais nous voyons aussi par notre étude que l’octoechos ne se réduit pas à quatre finales et deux types de dominantes selon le tableau de départ. En effet, non seulement le rôle respectif de la finale et de la dominante, mais aussi le nombre et la fonction des autres cordes de composition, l’ambitus et la variabilité interne sont très différents selon les modes.

Tout ceci nous manifeste la perte incommensurable que représente le passage de la modalité à la tonalité. En effet il existe une palette d’expression, quant à l’ethos, beaucoup plus large à l’intérieur de l’un des huit modes qu’entre toutes les pièces de toutes les tonalités majeures et mineures.

Par l’abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la FSSPX