Nous avions interrompu notre panorama de la musique religieuse à l’aube du XVIIe siècle, avec le compositeur cité en modèle par saint Pie X : Palestrina. Au lendemain de la Messe du pape Marcel, un nouveau style émerge en Italie, il porte le nom que l’on donnait en joaillerie aux perles irrégulières : barroco. Si l’on demandait à l’un d’entre nous de citer deux grands compositeurs “classiques”, il est presque certain que Vivaldi viendrait à la première place et Bach à la deuxième, Mozart étant certainement relégué un peu plus loin. Pourtant ni Vivaldi, ni Bach ne sont classiques, ils appartiennent à l’époque baroque.

Naissance de l’opéra

L’acte de naissance du style baroque est un opéra du compositeur Monteverdi, en 1607 : l’Orfeo1. Il raconte, en musique et théâtre, l’histoire d’Orphée et Eurydice, récit tiré de la mythologie grecque. Après le règne de la polyphonie et ses grands chœurs à 4, 6 ou 8 voix, voici venue l’ère du solo. Le style recitativo, comme disent les Italiens, est intermédiaire entre le parlé et le chanté. Sur un accompagnement très discret, le chanteur récite de longues phrases avec quelques inflexions pour les ponctuer. L’opéra contient aussi de nombreux airs où le soliste retrouve sa voix bien chantée. Un peu plus tard on parlera de Bel Canto.

Les instruments prennent aussi de l’importance. Jusque-là ils se substituaient seulement à la voix dans certains passages ; désormais ils ont leur style propre et deviennent de moins en moins interchangeables. Dans l’introduction de l’Orfeo ce sont d’abord les trompettes, puis la lyre avec laquelle s’accompagne Orphée, et les autres instruments à cordes pincées.

Le pendant instrumental de l’opéra est le concerto : il exalte un soliste instrumental, qui rivalise avec un orchestre. Chez Corelli (mort en 1713) c’est le violon, chez Vivaldi (mort en 1741), le violon principalement, mais aussi d’autres instruments comme le basson, chez Telemann (mort en 1767), c’est la flûte, chez Bocherrini le violoncelle. Chacun met en valeur ses instruments de prédilection.

En France, la musique s’allie à la danse, chez Lully (mort en 1687) d’abord, mais jusqu’à Couperin (mort en 1733) et Rameau (mort en 1764) qui écrivent aussi ces danses bien connues : gavotte, bourrée, sarabande, menuet.

En Allemagne, on travaille la structure musicale, rien n’est laissé au hasard. Si bien que l’on retrouve avec Jean-Sébastien Bach (mort en 1750) la complexité de la polyphonie de la Renaissance associée au sens de l’harmonie apporté par les premiers baroques. C’est un sommet musical, une réussite du génie humain.

La musique de l’homme

Que ce soit dans l’esprit démonstratif italien, ou dans la danse française, ou dans l’intellectualisme germanique, le principe général de cette révolution baroque est l’anthropocentrisme. Un historien de la musique qui n’a rien de catholique, Philippe Beaussant, le dit bien : Tandis que la musique de la Renaissance peignait l’harmonie du cosmos, nous pourrions dire, de Dieu, la musique baroque s’attache à décrire les passions humaines.

C’est pourquoi les voix perdent leur égalité, leur pureté, leur mélange si naturel chez Palestrina. Mais un solo prend le dessus, et tous les autres, y compris les instruments, l’accompagnent. Ainsi, il peut exprimer plus librement son individualité, sans contrainte d’un ensemble. C’est ce que font politiquement les protestants en proclamant la liberté individuelle du croyant. En musique cela s’applique aussi dans le concerto : l’orchestre accompagne et le soliste se montre, les concertos de Vivaldi, par exemple, sont très démonstratifs.

Pour les Français, il faut que la musique marche, à l’époque baroque cela signifie qu’elle danse. Les ornements viennent chatouiller l’oreille pour plaire à la cour, et surtout au Roi soleil. Même les messes d’orgue de Grigny, Couperin, et les autres gardent une parenté avec ces danses de la cour royale.

En Allemagne, l’humanisme est plutôt intellectualiste : toute la musique de Bach est le fruit du génie de l’intelligence humaine. Mais il manque certainement cet aspect inexpliqué qui fait le génie “divin”, chez Mozart par exemple.

C’est pourquoi, au regard des principes donnés par saint Pie X, la musique baroque en général n’est pas la plus appropriée à l’église, et le solo en particulier. En effet, le saint pape souhaite que la musique soit d’abord orientée vers Dieu, avant de susciter des passions modérées chez les hommes, afin de les amener à Dieu par le sensible. Beaucoup de musiques baroques se placent résolument dans le domaine du profane, par leur mode d’expression humaniste, et donc hors du temple, comme l’étymologie du nom l’indique. Cela ne signifie pas que chanter ou jouer la moindre pièce baroque soit une faute, mais il ne faut certainement pas en abuser.

Par  l'abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la FSSPX

Publié dans le Petit Eudiste n°219, juin 2021 

 

1Sur le site classic-intro.net on trouvera des éléments importants et des enregistrements sur la période baroque et chaque compositeur cité.