Par cet article, nous voudrions exposer les points principaux du dernier document législatif sur la Musique Sacrée avant la Révolution Conciliaire. L’Instruction sur la Musique Sacrée et la Sainte Liturgie émane de la Sacrée Congrégation des Rites en septembre 1958. Elle reprend et synthétise les directives données dans les derniers documents législatifs du Saint Siège sur le sujet : le Motu Proprio Tra le sollecitudini de saint Pie X, la Constitution Apostolique Divini cultus de Pie XI et l’encyclique Musicæ sacræ disciplina de Pie XII. Nous omettrons ce qui ne concerne pas la musique.

Le § 12 fait une distinction absolue entre les “actions liturgiques” réglementées par cette législation et les “pieux exercices” pour lesquels une liberté plus grande est laissée. Ceci signifie qu’on ne peut considérer qu’une partie de la messe, par exemple, échappe aux règles de la liturgie (la distribution de la communion, pendant laquelle on ne pourrait chanter un cantique non autorisé ou non conforme). Toutefois le “pieux exercice” peut suivre ou précéder, comme une procession à la Sainte Vierge après la messe, au cours de laquelle le choix des cantiques sera plus libre.

Les chants en langue vernaculaire

Reprenant les directives de Pie XII, qui élargissent les possibilités par rapport à saint Pie X, l’Instruction ne permet les cantiques en langue vernaculaire que dans les “pieux exercices” ou de façon très restreinte dans les “actions liturgiques”.

Il est interdit de chanter le texte liturgique en langue vernaculaire (§13b, §14a et b), tout comme de le réciter en langue vernaculaire (§14b et c). L’épître et l’évangile ne peuvent qu’être lus en langue vernaculaire, jamais chantés (§16c) et, quoi qu’il en soit, après le chant du texte latin (§96e).

Le chant en langue vernaculaire dans les “actions liturgiques” ne peut être toléré par l’Ordinaire, c’est-à-dire l’évêque du diocèse, que s’il existe une coutume séculaire ou immémoriale qui ne peut prudemment être déracinée (§14a). En tous les cas, cela ne peut se faire, à la messe chantée, qu’après le chant du texte liturgique (§14a). Toutefois le §27 qui détaille pour les différentes parties de la messe ne parle que de chant latin. On peut aussi chanter dans les messes lues (§33) sans contrevenir aux règles précédentes et sans empiéter sur les paroles que le prêtre doit dire à voix haute, ainsi que leur réponse.

Le chant en latin est donc fortement conseillé dans toutes les actions liturgiques, particulièrement le chant grégorien, même pour les indigènes dans les pays de mission (§112b) et pour les enfants de l’école primaire (§106a).

Le chant grégorien

Il doit être préféré aux autres genres de musique sacrée (§16). Il doit être exécuté conformément à l’Édition Vaticane “typique” (§16b, §59). Les parties réservées au prêtre et à ses ministres doivent être exécutées selon ces mélodies et sans accompagnement instrumental (§16b). La réponse des fidèles doit aussi respecter la mélodie grégorienne.

On ne peut omettre une pièce grégorienne de la messe chantée, la tronquer ou la modifier. Toutefois si elle ne peut être exécutée telle qu’elle est écrite dans les livres liturgiques, elle peut être psalmodiée sur un ton de psaume (éventuellement avec accompagnement de l’orgue) ou chantée recto tono. Il faut une cause raisonnable qui peut être la longueur du chant (§21). C’est ainsi que nous avons des psalmodies pour les graduels, les alleluias et les traits, le même principe peut être étendu aux introïts, offertoires et communions, à moins de les chanter recto tono.

On invite les fidèles à participer au chant grégorien, tout au moins pour les réponses de la messe (§25a) et le Kyriale, à commencer par les plus simples (§25b). Mais l’Instruction incite à faire chanter les parties du propre même aux fidèles (§25c). Il est plus logique que les fidèles essaient de suivre l’introït chanté en se tenant debout, plutôt qu’ils se mettent à genoux pour réciter les prières au bas de l’autel qui sont alternées avec le servant.

Les chorales féminines

L’Instruction reprend à son compte la nouveauté apportée par l’encyclique de Pie XII : si le chant sacré fait partie de la fonction du lecteur (2e ordre mineur) qui exerce par là un service ministériel propre et direct, si ce service peut être délégué à des hommes, mariés ou non (§93), Pie XII introduit la possibilité de chorales féminines ou mixtes à certaines conditions (§100). Voici l’instruction : « Un tel chœur doit être établi dans un endroit placé hors du sanctuaire ou de la balustrade ; les hommes doivent se tenir à part des femmes ou des jeunes filles, tout inconvénient étant soigneusement évité. »

Il est vrai que la pénurie d’hommes et d’enfants dans les chorales paroissiales se fait souvent sentir. Il sera bon de tirer profit de cette autorisation en veillant aux inconvénients qui peuvent en résulter, de telle manière, en particulier, que les demoiselles prennent goût au chant liturgique et particulièrement au chant grégorien. Il ne faudrait pas que le respect d’une discipline imposée par saint Pie X et levée par Pie XII aboutisse à manquer à la règle d’or donnée par saint Pie X : le chant grégorien est le chant liturgique par excellence, il doit être préféré à tout autre. À défaut que toute la foule puisse chanter le propre de la messe, les femmes de la chorale pourront y être initiées.

Le pouvoir de l’Ordinaire

Plusieurs règles liturgiques (quant au choix des instruments par exemple) ont été progressivement assouplies avec le temps. Saint Pie X donne encore des références précises de ce qui est interdit et ce qui est permis. En revanche chez Pie XII et dans l’Instruction que nous exposons, beaucoup d’éléments sont laissés au jugement de l’Ordinaire, c’est-à-dire de l’évêque du lieu. Pour reprendre notre exemple, il n’y a plus d’instruments nommément interdits par Pie XII (tandis que saint Pie X condamne expressément la fanfare à l’église), mais on confie aux Ordinaires de veiller au bon usage des instruments (§68-69 qui complète le §60).

L’Instruction confie aussi le jugement sur un certain nombre de cas à la Commission de musique sacrée qui doit exister dans chaque diocèse (§118). Puissions-nous voir une législation en la matière au sein de la Tradition !

Par l’abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la FSSPX