le Petit Eudiste n°217

Un jour que l’on demandait à saint Pie X ce qu’il était bon de chanter à la messe, le saint pape répondit tout de suite : « On ne chante pas à la messe, on chante la messe. » En effet la musique d’église prend sa source dans les textes liturgiques eux-mêmes. À tel point que même la musique profane du Moyen-Âge utilise les thèmes grégoriens comme base de ses compositions.

Nous avons vu dans l'étude des Documents Pontificaux comment saint Pie X donnait les trois caractéristiques nécessaires de la musique liturgique dans son Motu Proprio. Faisons avec lui l’application à la première musique liturgique : le chant grégorien.

Le chant grégorien

Le chant liturgique remonte aux toutes premières années de l’Église. Malgré la persécution, elle adopte immédiatement le chant des psaumes, à la suite de la Synagogue. D’une récitation assez simple avec quelques inflexions de voix, la musique s’orne progressivement jusqu’à donner notre répertoire actuel, dont la majeure partie remonte à la période entre saint Grégoire le Grand (père du chant grégorien) et Charlemagne (unificateur de la liturgie en Europe), soit de 600 à 800.

Afin d’appliquer le critère des trois caractéristiques données par saint Pie X, écoutons le pape Pie XII (encyclique Musicæ Sacræ Disciplina) : « Ce chant, en effet, à cause de l’union intime de la mélodie avec le texte sacré, non seulement s’accommode à lui parfaitement, mais il semble en exprimer la force et l’efficacité, et il pénètre de sa douceur les esprits de ceux qui l’écoutent, et cela par des moyens musicaux simples et faciles, mais inspirés d’un art si sublime et si saint qu’ils suscitent chez tous une sincère admiration et qu’ils deviennent pour les maîtres et les connaisseurs de la musique sacrée comme une source inépuisable de nouvelles harmonies. »

Le suprême modèle

Quels éléments donnent cette sublimité et sainteté au chant grégorien, qui en font la musique universelle ? La liberté mélodique et rythmique du chant grégorien est telle que les musiciens classiques se sentent tout petits face à la richesse de cette musique. Mozart disait qu’il aurait donné toute son œuvre pour une Préface. De grands professeurs de direction d’orchestre rejoignent les notions de la direction grégorienne. Les grands improvisateurs et compositeurs du XXe siècle se sont mis à l’école de la modalité grégorienne qu’ils admirent, Debussy lui-même est venu écouter attentivement le chant des moines de Solesmes. Saint Pie X est donc parfaitement juste lorsqu’il place le grégorien au-dessus de toutes les autres musiques, non seulement quant à la sainteté, mais aussi quant à la beauté. C’est ce qui fait une musique universelle et non une soi-disant adaptation aux mentalités simples : le sublime attire.

Saint Pie X ajoute aussi quelques raisons qui font du chant grégorien le modèle suprême : 1° il est la musique sacrée la plus traditionnelle, 2° l’Église l’a toujours considéré comme sa musique propre, excluant parfois les autres formes de musique, 3° c’est une musique vocale à l’unisson : en chantant la même chose en chœur, les fidèles sont plus portés à prier d’un seul cœur.

Soulignons l’universalité de cette musique qui manifeste la catholicité de l’Église : malgré des manières de chanter qui peuvent varier selon les régions, la mélodie grégorienne elle-même est fixée pour le rit romain, quelle que soit la région du monde où l’on voyage. Ainsi un Africain peut chanter avec un Français, un Japonais, etc.

Notre saint pape conclut donc : « Une composition musicale ecclésiastique est d’autant plus sacrée et liturgique que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rapproche davantage de la mélodie grégorienne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davantage de ce suprême modèle. »

Après avoir donné cette règle d’or, il invite à rétablir l’usage du chant grégorien parmi le peuple. C’est ce que faisait le père Emmanuel dans sa paroisse de campagne du Mesnil-Saint-Loup. Au bout de quelques années, tous les fidèles chantaient en chœur l’ensemble des pièces grégoriennes de la messe. Ainsi les fidèles chanteront la messe, associés du mieux qu’ils peuvent au prêtre. Commençons par le kyriale, puis nous pourrons nous associer à l’introït, enfin les autres pièces. Le site www.unavoce.fr propose chaque semaine l’ensemble de la messe du dimanche suivant dans une très bonne interprétation avec un commentaire spirituel.

Pourquoi chanter en latin ?

Certains pourraient penser que la musique en latin convient aux prêtres et aux religieux, mais pas aux fidèles. Ne pourrions-nous pas, au lieu du chant grégorien, trouver quelques cantiques français adaptés que les fidèles comprennent ?

Il faut savoir que c’est exactement le discours du P. Joseph Gelineau, auteur de la réforme de la musique liturgique dans les années 1960-1970 pour s’adapter au changement de la nouvelle messe. Il ne ménage pas ses moqueries à l’égard des prières et chants latins, incompris des fidèles. Il faut savoir aussi que l’Église n’a admis que très tardivement que l’on puisse chanter en français pendant la messe : c’est une tolérance que commence à donner le pape Pie XII, donc cela n’existait pas à l’époque de saint Pie X.

Bien évidemment cette tolérance trouve sa raison valable dans la régression des études latines, chez les chanteurs comme chez les fidèles. Mais on peut penser que les paysans des siècles précédents ne connaissaient pas plus de latin que nous. La compréhension est assurée plus facilement encore aujourd’hui par les missels avec traduction, les commentaires par le prêtre en chaire ou autres. Rien n’empêche de préparer sa messe en cherchant des commentaires des textes qui vont être chantés.

En effet les pièces ne sont pas seulement chantées pour la compréhension littérale du texte, mais bien plutôt pour porter à la prière, à la méditation. À la messe basse, la lecture de l’introït dure quelques secondes et nous donne guère la possibilité de prier sur ce texte qui n’est pas toujours facile à saisir. À la messe chantée, la mélodie est déjà une première explication du texte, elle nous donne, par sa modalité l’état d’esprit : plutôt joyeux, triste, intérieur, triomphal, pénitent, confiant … Le temps que dure le chant nous permet d’élever notre âme à Dieu dans cette ligne. Remarquez que ceci est accessible même à celui qui ne comprend pas bien le texte, il n’a qu’à se laisser porter à la prière par la musique.

De plus le latin est une langue sacrée en elle-même, parce qu’elle est réservée pour la liturgie. Ainsi elle n’évolue pas, ne se dégrade pas comme une langue parlée couramment. C’est aussi une langue concise, qui a des formules courtes et efficaces, ce qui donne la noblesse du sacré. Son rythme naturel porte à la poésie et à la musique qui élève l’âme. Le style liturgique, comparativement aux autres textes latins, revêt encore plus un caractère sacré, empruntant des cadres utilisés même pour la liturgie païenne à Rome. Souvent les convertis sont plus attirés que repoussés par ces chants latins, si beaux.

Bien sûr l’argument déjà évoqué précédemment s’ajoute : le latin est la langue universelle qui permet à tous les peuples de chanter les mêmes chants.

Aimons donc à chanter, non seulement les pièces liturgiques de chaque dimanche, mais aussi les diverses antiennes et hymnes des vêpres ou autres qui remplissent nos manuels de chant et nos missels. Une traduction peut nous faciliter la compréhension littérale, mais nous savons aussi que ces pièces, très anciennes le plus souvent, sont la plus belle louange que nous puissions offrir à Dieu, en même temps qu’elle nous élève à lui.

 

Par  l'abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la FSSPX

Publié dans le Petit Eudiste n°217, décembre 2020