On rapporte couramment le mot de Mozart : « J’aurais donné toute mon œuvre pour avoir composé l’Exultet. » À première vue, on pourrait le considérer comme une boutade, non qu’il faille nier la beauté du chant de consécration du cierge pascal, mais il faut admettre qu’il s’agit d’une des pièces du répertoire les plus simples dans sa mélodie, comme le sont les préfaces : un ambitus restreint, dans lequel on n’utilise pas tous les degrés de la gamme et sans aucune polyphonie. Il faut ajouter que la manière de chanter le grégorien à l’époque de Mozart n’avait rien de la souplesse apportée par la restitution de l’école de Solesmes par dom Pothier et dom Mocquereau. Que pouvait donc valoir l’Exultet face aux chefs d’œuvre du maître inspiré : les Noces de Figaro, les concertos pour piano ou autres instruments, Don Juan et La Flûte Enchantée, les trois dernières symphonies et le reste de son œuvre ? Berlioz déclarait le plain-chant, issu de la musique des Grecs païens, incapable d’exprimer la musique de Dieu. Il ne concédait qu’à Mozart de s’en être approché, en particulier par l’Ave Verum.

En sens contraire, Mozart n’est pas le seul à avoir établi ce lien entre le chant grégorien et sa musique. Même si cette utilisation de la musique est détournée de son objet premier, j’utiliserai à titre de confirmation l’argument de la musico-thérapie, cette science qui cherche à obtenir des effets bénéfiques sur le corps par l’écoute musicale Il est évident qu’elle n’utilise pas les derniers tubes à la mode. Nombre d’études, comme celle du Dr Nghiem (Musique, intelligence et personnalité), montrent l’effet dévastateur pour le corps et le cerveau de ces musiques dont nous sommes abreuvés en permanence. La musico-thérapie utilise, quasi exclusivement, le chant grégorien et la musique de Mozart.

Quel est donc le rapport entre Mozart et le chant grégorien, pour que lui-même s’en considère si éloigné, que Berlioz émette l’avis contraire et que la musico-thérapie les rassemble ?

La musique de Mozart, une musique inspirée

Chacun conviendra, après ce que nous avons dit (à la suite de saint Pie X et bien d’autres), que le chant grégorien est une musique inspirée. Il ne s’agit pas de l’Inspiration de la Sainte Écriture, par laquelle l’Esprit-Saint la garantit de toute erreur, mais on constate que ces mélodies viennent d’en haut, ont quelque chose de plus que nos mélodies de la terre.

Chez Mozart (né en 1756), cette inspiration est évidente. Toute sa vie il reste un enfant : à 6-8 ans, il peut abandonner son piano où il donne représentation dans un grand salon pour un jouet qu’on lui a offert ou un animal de compagnie, sans qu’on puisse le détourner de ce caprice ; sa correspondance est remplie de facéties et il restera plaisantin jusqu’à ses derniers jours ; il est incapable d’économiser son argent, même après avoir vécu l’expérience de la misère et le luxe des salons des princes. Malgré tout cela, il compose dès son plus jeune âge une musique qui surprend par sa maturité ; ses contemporains le reconnaissent, la postérité plus encore. Au bout de quelques années, il en est tout à fait conscient et parle de ce “génie” qui l’inspire. Contrairement au laborieux Beethoven, il affirme que ses symphonies et concertos lui arrivent à l’esprit subitement, en un instant, après quoi il s’empresse de les livrer au papier, au point de s’en faire mal aux mains.

Il est donc indéniable qu’il reçoit un don qu’il ne maîtrise pas lui-même : le don de composer des phrases musicales parfaitement ordonnées et symétriques, d’exprimer les plus belles choses avec le minimum de moyens (ce qu’on appelle le sublime), tandis qu’il est incapable de mettre un peu d’ordre et de simplicité dans sa propre vie.

Il ne méprise pas la religion. Plusieurs fois, il s’en défend auprès de son père qui le soupçonne : il n’est pas un mauvais catholique et ne s’éloignerait pas de l’Église. Il prie tous les jours et fréquente les sacrements. Il a mis en musique son acte de consécration à la Sainte Vierge, à 21 ans, c’est le Sancta Maria.

Le clergé de l’époque n’est pas un exemple, surtout à Salzourg : le prince-archevêque Jérôme Colloredo, qu’il sert, s’intéresse plus aux grands banquets et à la vie mondaine qu’à la sanctification de ses sujets. Mais rien de très exceptionnel dans une époque qui ne compte presque aucun saint.

Son affiliation à la Franc-Maçonnerie a fait couler beaucoup d’encre, quelques précisions sont nécessaires. En réalité, il cherchait à retrouver le spirituel (perdu dans cette mondanité ecclésiastique) comme beaucoup d’artistes de son temps, excellents catholiques. C’est ainsi qu’il entre à 30 ans dans une loge qui n’est pas fortunée : La Bienfaisance. Mais bientôt il en fonde une autre, avec quelques amis : L’Espérance nouvellement couronnée. Il y trouve l’occasion de quelques réjouissances, mais parle aussi avec son père, en langage d’initiés, de la mystique retrouvée et de l’étude de la Bible qui s’y pratique.

À la fin de sa vie (à 35 ans), il a bien conscience de vivre sous le regard de Dieu et parle déjà depuis longtemps de cette mort qui est sa compagne. Cette pensée est alimentée par la commande mystérieuse du Requiem, qu’il veut à tout prix achever, convaincu de l’écrire pour sa propre mort.

Il faut donc le reconnaître, la musique de Wolfgang Amadeus (aimé de Dieu) est divine et catholique. Dans une période où l’on sort à peine du baroque, du sensationnel, où l’on s’apprête à plonger dans le spleen romantique, il fait preuve d’un équilibre divin qui prend sa source dans une inspiration authentiquement chrétienne.

Exemples de son œuvre religieuse

Entre 12 et 20 ans, Mozart a déjà composé 15 messes et de nombreuses pièces d’Église. Mais c’est surtout à partir de son “Sancta Maria” que son œuvre religieuse doit être étudiée.

Deux ans plus tard, en 1779, il compose une messe en ut (K 317), appelée “Messe du Couronnement” parce qu’elle fut composée pour le couronnement de la Vierge de Maria-Plain. Elle est en mode majeur du début à la fin (excepté le Chríste eléison, exprimant ainsi les souffrances de la passion de Notre-Seigneur). C’est ainsi que Mozart exprime la certitude de sa foi et la louange à la gloire de Dieu. Le Kyrie et le Sanctus sont basés sur l’accord parfait (do-mi-sol), le Credo sur la gamme (do-ré-mi-fa-sol). Tout ressemble à des airs d’opéras, mais quelques petites touches dont Mozart a le secret les rendent sacrés et tout à fait convenables à l’Église.

En 1782, il se remet à l’ouvrage pour une messe qu’il écrit en accomplissement d’un vœu : la grande messe en ut mineur (K 427) qui restera inachevée (en particulier le Credo). En mode mineur, elle est plus plaintive, avec de lentes montées chromatiques. Toutefois le Gloria et le début du Credo nous ramènent au majeur, ainsi que le Sanctus et son Hosanna triomphal et fugué à la manière de Bach. L’Et Incarnatus est est d’une sublime mélodie, après un prélude très expressif de la descente de Dieu en notre humanité.

L’Ave Verum (K 618) est très célèbre. Mozart le compose quelques mois avant sa mort en 1791. Par son style, il annonce un peu le romantisme, mais garde la simplicité mozartienne qui convient tout à fait à la liturgie. Il fut composé sans doute pour un chœur de niveau moyen, ce qui lui permet d’être au programme de toutes les chorales aujourd’hui.

Mozart et le modèle inatteignable

Que manque-t-il donc à Mozart pour rivaliser avec le chant grégorien ? Le mot de Berlioz serait-il juste ?

Je pense, au contraire, que Mozart mesure très exactement ce qui fait la valeur d’une musique, sa sublimité : un minimum de moyens pour un résultat maximal, c’est-à-dire une palette d’expression la plus diversifiée possible. Quelquefois il s’en approche : dans tel ou tel adagio, il se contente d’une mélodie toute dépouillée et réduit l’accompagnement au minimum ; les récitatifs sont à la limite de s’affranchir du cadre de la mesure.

Mais devant la monodie grégorienne, parfaitement unifiée autour du texte sacré, il s’incline : son génie ne lui permet pas de dépasser un certaine borne. Il ne pense pas pouvoir sortir du champ de la tonalité classique telle qu’elle a été codifiée par Bach et Rameau. Il ne peut donc atteindre le trésor de ces modes grégoriens si variés. Enfant de la danse, il ne peut s’affranchir du cadre de la pulsation régulière, il est obligé de “remplir” avec ces notes répétées et autres formules stéréotypées dans le milieu de l’orchestre afin d’assurer la stabilité de la phrase musicale. Suivre le rythme naturel de la langue latine, comme en grégorien, surtout dans l’Exultet, c’est ce qu’il admire mais qu’il ne peut réaliser sans sortir du cadre de son époque.

En ce sens Mozart rejoint saint Pie X : le modèle de la musique d’église, il ajouterait même le modèle de toute musique digne de ce nom, c’est la musique liturgique inspirée, le chant grégorien. Si nous chantons Mozart à l’Église, chantons-le sans excès dans la manière, il le réprouverait ; chantons-le dans l’esprit du chant grégorien, en espérant qu’il s’en rapproche malgré le fossé qui les sépare (de fait il est impossible d’improviser sur des thèmes grégoriens dans le style de Mozart). Malheureusement ce retour à l’équilibre à l’époque classique ne va pas durer !

Par l’abbé Louis-Marie Gélineau


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