Le dynamisme psychologique dans la musique d’orgue

Pour illustrer la distinction entre le dynamisme physique et le dynamisme psychologique, Dom Frénaud attire notre attention sur une célèbre page de J. S. Bach, les premières mesures de sa Toccata en ré mineur.

Le cas de la musique d’orgue est particulièrement intéressant. En effet, jusqu’à l’invention des « boîtes d’expression », au XIXe siècle, le mouvement continu d’intensité est impossible à réaliser. Or, comme nous l’avons noté plus haut, c’est l’une des causes principales du dynamisme psychologique. Le crescendo et le decrescendo physiquement continus, faciles à réalisés dans le chant et pour de nombreux instruments, sont des moyens simples d’assurer les tensions et les détentes qui constituent le dynamisme psychologique. Il y a un lien si évident entre crescendo et tension d’une part, decrescendo et détente d’autre part, qu’ils peuvent être confondus, et que certains nient l’existence d’un dynamisme psychologique, distinct du dynamisme physique lié à l’émission du son.

Dans le cas de l’orgue, il va être plus facile de mettre en évidence la distinction entre les deux plans : le plan psychologique et le plan physique. En effet, si la continuité du dynamisme psychologique s’y trouve, elle sera indépendante d’une continuité du mouvement physique, impossible à réaliser dans notre cas. C’est bien ce qui se passe : à l’audition l’orgue laisse, autant que tout autre instrument, la sensation interne d’un développement et d’un dynamisme continus. Cette sensation serait inexplicable s’il n’existait dans la conscience psychologique de l’auditeur, réellement distinct des mouvements physiques discontinus et produit par eux, un mouvement psychologique dont la continuité n’est pas nécessairement liée à celle de ses causes 1.

I Le dynamisme intense d’une célèbre « Toccata »

Les premières mesures de la célèbre Toccata en ré mineur de J. S. Bach sont animées d’un dynamisme intense. Ce dynamisme a été pensé et voulu par l’auteur même de l’œuvre qui n’a pas un seul instant songé à une succession amorphe et discontinue de groupes sonores sans liens mutuels. Tout ce début ne comporte qu’un seul mouvement global, merveilleusement ordonné et subdivisé en quatre membres successifs, partiellement distincts entre eux par un repos provisoire et une souple évolution du dynamisme psychologique qui ne s’éteint presque entièrement à la seconde moitié de la troisième mesure que pour renaître aussitôt et poursuivre son évolution jusqu’à la fin de la Toccata 2.

Notons bien le contraste dans cet exemple bien choisi entre le mouvement physique haché et morcelé d’une part et le mouvement psychologique d’autre part, qui se poursuit chez celui qui écoute et qui attend le membre suivant. Comme le note Dom Frénaud, Impossible ici de confondre la cause physique (l’émission de groupe mélodique initial) avec son effet psychologique (l’attente, l’appel, le besoin provoqué et maintenu chez l’auditeur pendant toute la durée du silence) 3.

II Silence et silence

Arrêtons-nous un instant sur le rôle des temps de silence qui séparent les séries de notes. Sur le plan physique de l’émission sonore, ils interrompent totalement le mouvement physique et séparent complètement les différents groupes sonores.

Sur le plan psychologique, il en va tout autrement. Les groupes la-sol-la provoquent une sensation d’attente, qui trouve sa réponse dans les groupes descendants. Jusqu’à l’entrée de la pédale à la seconde mesure, les six groupes forment trois jeux de questions et réponses. Les silences qui séparent les questions des réponses et ceux qui séparent les différents membres ont un tout autre dynamisme psychologique. Dans le second cas, L’attente est beaucoup plus calme, l’élan beaucoup plus discret, le besoin beaucoup plus réduit. L’exécutant pourrait bien plus aisément s’arrêter ici sans déconcerter son auditeur. Cette diversité psychologique vient de la différence des mélodies : Le premier groupe mélodique n’a rien de conclusif : tout au contraire ; le second s’achevant immédiatement au-dessus du demi-ton donne beaucoup plus la sensation interne d’une fin 4.

De l’existence de ces deux types de silence, l’un en appel, l’autre en repos, il est naturel de conclure à l’existence du dynamisme psychologique que nous cherchons à justifier.

III Le mouvement psychologique

Dom Frénaud donne ici quelques précisions sur ce mouvement psychologique que nous saisissons ici, pour ainsi dire, à l’état pur. Il est évident que ce mouvement psychologique n’est pas un mouvement physique, il ne mérite même le nom de mouvement que par analogie : en soi, il n’est rien autre chose qu’une réaction vitale psychologique, prévue et provoquée naturellement en nous par les diverses déterminations du son employées à dessein par le compositeur et l’exécutant. Mais cet élément, en soi d’ordre psychologique et affectif, est, on ne peut plus réel, et nous ne percevons les sons eux-mêmes que dans ce cadre psychologique qui les enveloppe, les complète et les vivifie 5.

Conclusion

Avec les exemples donnés dans l’article précédent pour le chant, nous avons de belles illustrations, qui manifestent bien la distinction entre le dynamisme physique lié à la sensation auditive, et le dynamisme psychologique, réaction interne à la musique perçue. Il nous restera à étudier le lien entre ce dynamisme psychologique et les éléments de la phrase musicale, pour mieux comprendre comment le rythme est l’ordonnance du mouvement musical.

 

Abbé V. Gélineau (cum permissu superioris)

1Dom Frénaud, RG 1936, p. 166

2Dom Frénaud, RG 1936, p. 168

3RG 1936, p. 168 – 169

4RG 1936, p. 170

5RG 1936, p. 169


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